Charles Ferdinand – dit ‘CF’ – Ramuz dans Passage du poète: Besson le vannier arrive au printemps dans un village du Lavaux, à côté de Lausanne, surplombant le Lac Léman. Il vient y travailler le temps d’une saison. Sur son passage, on rencontre plusieurs personnages, du fossoyeur jusqu’à Mathilde et sa robe neuve en passant par Congo, à la charge de la commune, Gilliéron dans sa cave, Bovard dans sa vigne… Chacun est pris dans ses soucis. Besson, avec sa tranquillité silencieuse, s’intègre sans s’intégrer. Ce sont les autres qui modifient leur regard sur leur quotidien. L’été fini, une fête des vignerons rassemble tout le monde, et Besson s’en repart dans le silence de la nuit.
CF Ramuz est né en 1878 à Lausanne, en Suisse, de parents commerçants. Après des études de lettres dans sa ville natale, il part pour Paris, où il séjournera régulièrement jusqu’en 1914, tout en participant à la vie littéraire romande. Après la « Grande Guerre » il renonce au roman explicatif pour décrire des communautés aux prises avec les forces du mal, la guerre, la fin du monde. Il développe ainsi un nouveau style d’écriture proche du langage parlé, abandonnant la narration linéaire et introduisant le « on » comme l’expression d’une collectivité.
Dans le 2e épisode de cette série, place à CF Ramuz: écouter ces passages d’un de ses livres préférés, ‘Passage du poète’ :
– chapitres 4 et 5
Transcription ci-dessous:
Chapitre 4
Alors il y a eu un petit orage avec deux ou trois coups de tonnerre.
Le fond du lac a été longtemps occupé par des nuages posés l’un au-dessus de l’autre comme des bancs pour s’asseoir ; un coup de vent les fait venir en bas.
Il y a eu un ciel clair, contre lequel a été seulement dressée l’échelle d’une grosse averse ; puis elle s’avance, et tout se brouille, tandis que la terre change de couleur et c’est son tour de changer de couleur.
On ne sait jamais le temps qu’il va faire.
C’est pourquoi, d’avril à octobre, ils tiennent la tête levée.
Là-haut est leur véritable banque ; là-haut, ils ont placé leur capital. Depuis le commencement d’avril et jusqu’après les vendanges, ce qui fait sept mois, jour après jour, et tout le long du jour, et dès qu’ils sont debout et encore avant de se mettre au lit, ils regardent là-haut vers le temps qu’il va faire.
Car il se fait sans eux, le temps, et bien souvent même contre eux et ils ne peuvent rien y changer, alors ils ont appris à obéir, mais ont appris aussi à être attentifs et à lire les signes qui sont écrits sur cette page vite tournée, à ce ciel qui est comme un livre qui aurait tellement de pages que la même ne se présenterait jamais deux fois. Le tout petit mot d’un nuage qui est apparu, qui s’en va ; la ligne écrite en gris du brouillard traînant à mi-mont ; la coloration d’un coucher de soleil ; quand la lune a une couronne comme une mariée ; – et sur la terre aussi les signes : la limace qui sort, l’araignée qui tisse sa toile, les taons qui sont méchants, l’hirondelle qui vole bas…
L’escalier des nuages a été détruit tout d’un coup ; il a plu, il a fait froid.
Ils rallument les poêles de faïence ronds qui ont des cercles comme des tonneaux ; ils regardent de derrière les carreaux la terre des vignes noircir sous l’averse.
Et puis il fait beau, il fait chaud. La montagne redevenue blanche à sa pointe brille au travers de la vitre de l’air bien lavée, semblant s’être approchée de vous avec ses deux couleurs.
Il y a eu un lac des deux mêmes couleurs, un lac qui est bleu avec des veines blanches.
Le mur fendu d’un tout petit jardin potager pend dessus avec l’angle d’une dépendance où il y a le pressoir et un appartement pour le vigneron, avec trois fenêtres à contrevents verts tenant mal dans leurs gonds forcés…
Pendant ce temps, Besson est toujours sur la place, faisant aller ses mains comme quand on joue à pigeon vole.
C’était l’heure où les hommes rentrent du travail : ils lui ont parlé un moment, pendant que lui levait vers eux, de dessous son chapeau et au-dessus de sa barbe frisée, deux petits yeux qui étaient clairs à cause de la peau foncée.
Midi a sonné ; il se lève. Lui aussi, a été manger la soupe, ce que tout le monde faisait sans pourtant qu’on entendît encore le bruit des cuillères contre les assiettes, comme plus tard dans la saison, quand on tient les fenêtres ouvertes. Le soleil s’était caché de nouveau.
Ils repartent au travail vers les une heure.
Bovard est entré dans la chambre de son garçon, il lui a dit : « Comment est-ce que ça va ? » Malheureusement, ça n’allait pas. On l’a vu, le pauvre, s’asseoir difficilement sur son lit, tenant la main à plat sur sa poitrine ; et, de sa bouche entr’ouverte, sortait une petite toux qui ne voulait jamais venir dehors avec toute sa racine, alors elle repoussait toujours.
Bovard a dit à son fils : « Ne bouge pas, reste bien tranquille, je n’ai pas besoin de toi » ; et il est parti seul pour sa vigne, ayant eu trois fils et deux sont loin et le troisième pour le moment est comme s’il n’était pas là ; de sorte que ce matin il a été seul à travailler et cette après-midi encore il va être seul, comme il a vu, ayant craché quand même dans ses mains et empoigné son fossoir.
Dès les une heure, Bovard est retourné seul à sa vigne qui se trouve sur un de ces promontoires que le mont projette par place, surplombant la route et le lac.
Sur son socle de pierre et de terre, il y a eu quand même, et dès les une heure, Bovard, et Bovard avec son fossoir décrit un demi-cercle dans l’air.
Sur son socle, à cent mètres au-dessus de l’eau, dans le ciel, contre une montagne bleue et blanche, et aussi grand que la montagne ; et à présent c’est le travail de retourner, après qu’on a taillé avec le sécateur et raclé avec le racloir, parce que le soleil est déjà chaud et on voit les bois qui pleurent et se mouillent, leur écorce tout humide subissant un changement de couleur au-dessus de la corne, tandis qu’à la partie taillée la goutte qui est en train de se former brille en petits feux, blancs, rouges, jaunes, bleus, comme un collier de dame.
Bovard y va quand même tant qu’il peut, amenant à lui la terre qui vient dehors d’un seul bloc, tellement elle est forte et dure ; puis, se baissant, il prend un échalas qu’il enfonce ensuite avec le dos du fossoir.
Entre les souches qui sont encore comme mortes sous leur mousse, stériles aux yeux, arides, – seulement regardez-y de plus près, parce qu’alors, à leur surface, et en haut de la vieille écorce craquelée, des deux côtés du bois qui pleure, un premier bouton s’est formé, tout cotonneux et sec encore, mais il va se développer, il va devenir comme de la chair, s’ouvrant chaque jour un peu plus, parce qu’une poussée s’y fait, et jusque dans l’ossement mort il y a qui veillent quand même des forces de résurrection. C’est alors comme quand un tuyau de fontaine crève et le jet jaillit dehors. Les grands hauts sarments chaque année refaits, chaque année retranchés par l’homme, mis en fagots par lui et emportés, puis redemandés par lui à la terre, qui les redonne.
Mais il faut qu’on l’y aide, comme Bovard fait tant qu’il peut. Retourner la terre, la fumer, racler, nettoyer : car rien ne vous est donné qu’on ne donne ; c’est la loi, comme se dit Bovard, pour s’encourager. Il se démène tant qu’il peut sur sa bosse, bien qu’il soit seul, mais il s’est dit : on travaillera double. Il fait encore monter son fossoir, il le fait descendre, traçant un grand demi-cercle brillant contre le ciel, puis la montagne, et, de nouveau, il prend un échalas.
Il ne s’est arrêté un moment que pour regarder passer le train de 1 h. 22. Ça est né de l’autre côté du golfe entre une grande maison blanche qu’il y a là et l’eau, n’étant tout d’abord qu’un point noir qui est venu se mettre sous une grosse fumée grise. C’est d’abord vu de face, ce n’est qu’un point ; puis, à mesure que ça prend le tournant dans la concavité du golfe, ça se déploie et ça s’allonge, suivant si exactement la rive qu’on dirait que c’est un morceau d’elle qui vient.
Bovard a mis les mains autour du manche de son fossoir, tournant le dos au mont et à la terre ; il regarde vers en dessous, il ramène ses yeux à ses pieds dans la quantité même que le train vient.
Et maintenant il est juste au-dessous de lui et maintenant on dirait un ver noir, une grosse longue chenille à la peau nue, qui se traînerait sur le ventre avec ses anneaux, ayant une corne de fumée.
En marge du bleu de l’eau, dans cette couleur de feuille sèche qui est encore la couleur qu’ont les vignes, avec les petites colonnes noires du fumier dressées par-ci par-là entre les souches, – juste sous les pieds de Bovard ; puis on a entendu le grincement des freins.
Là, en effet, est la station avec ses deux quais gravelés et sa petite bâtisse de bois peinte à l’huile sous un toit d’ardoises ; et Bovard, les mains autour du manche de son fossoir, continue de regarder, à cause du monde qui attend et il y a des personnes en retard qui dégringolent encore le sentier.
Des demoiselles sténo-dactylographes, des commis de banque, des employés de commerce : ceux dont la vigne n’a pas voulu ou qui n’ont pas voulu d’elle ; – quelques écoliers aussi, garçons et filles, avec leurs serviettes.
Boyard, les mains autour du manche du fossoir, regarde d’en dessus les changements du monde, lui qui ne change pas.
Étant de ceux qui n’ont jamais changé, étant un fidèle, – tandis qu’on entend le conducteur crier : prêt ! – étant l’homme d’un ouvrage toujours le même, étant l’homme qui est sur le même point de la terre d’un bout à l’autre de l’année, d’un bout à l’autre de la vie, et immobile quand tout passe, tout se déplace, tout se modifie : les habitudes, les façons de se mettre et de se tenir, les façons de dire, les mœurs, les métiers : – lui toujours au même métier, à un métier toujours le même depuis les plus vieux temps, dans les mêmes lieux, devant la même eau, sous le même ciel, du matin au soir et de jour en jour ; – alors il laisse à présent s’en aller le train dont la locomotive a soufflé avec bruit trois ou quatre fois.
Et ce qui doit s’en aller s’en va, ce qui est mobile redevient mobile.
Un morceau de rivage inutile quitte le rivage et a pris bientôt de la vitesse parce que c’est une chose à quoi la vitesse peut servir…
Bovard crache dans ses mains.
Il lève de nouveau l’outil, qu’il porte au-dessus de sa tête, il l’abat ; il le lève, il l’abat ; il le lève encore, seulement cette fois l’outil s’est arrêté.
C’est que s’il n’y a personne après vous, s’il n’y a personne qui sorte de vous ; si personne n’est là pour vous continuer. S’ils s’en vont tous ainsi, il se dit ; d’une façon ou de l’autre, s’ils s’en vont et s’ils m’abandonnent.
On s’est condamné à une seule chose, toujours la même, dans le même lieu : alors si on s’était trompé, parce qu’on croyait à son travail, mais peut-être qu’il vous a menti.
Si c’était une punition, et les autres vont courir le monde.
C’est pourquoi il garde son outil levé, réfléchissant ; et, tourné de nouveau vers la pente qui est sa part, il ne sait plus ; – parce que d’autres ont la distance, ont toute la place qu’il faut pour des comparaisons entre les choses, et on peut choisir ; on va à l’une, puis on la quitte, on va à l’autre…
Justement Besson venait de partir pour sa tournée, mais parce que Bovard tenait la tête baissée, Bovard ne l’a pas vu passer.
De nouveau le temps gris qu’il faisait le jour où Besson est venu ; Besson va au-dessus du mur gris contre un autre mur gris supportant un carré de terre grise, et il y a tous ces carrés de terre qu’on voit et c’est tout ce qu’on voit.
Et, lui, Bovard n’a pas vu le vannier, qui a été pourtant la seule chose claire, quand de nouveau il y a eu ses paniers, de nouveau il y a l’entassement des paniers et des corbeilles, beaux blancs, en osier nouvellement écorcé, frais à voir.
Besson monte la route, il s’éloigne, il est caché tout entier par sa hotte, parce qu’il se montre de dos. C’est comme une fumée de nouveau. Un peu de vapeur, une brume blanche, un flocon de laine de mouton. Ça s’évapore, ça diminue, ça se rapetisse ; c’est comme quand dans l’air froid l’haleine vous sort de la bouche ; et puis ça a été à demi masqué par un buisson, Besson étant à présent arrivé au-dessus des vignes.
Il est sur une pente d’herbe parsemée de buissons de ronces, sous une espèce de falaise portant le ciel comme un plafond de chambre et déjà la colonne blanche touche le plafond de la chambre.
Il s’en va en tournée ainsi dans le pays de là derrière où les eaux ont une autre pente et, sitôt la crête passée, se tournent vers le pôle opposé[1] ; alors immédiatement tout change, parce qu’il fait noir, il fait étroit, il fait fermé ; on est parmi des forêts dans lesquelles par-ci par-là on a découpé des carrés et au milieu est un village…
Il a été dans ces villages et d’un de ces villages à l’autre, faisant son métier, vendant ses paniers.
À quatre heures, il s’est assis sans rien dire à une table sous un hangar où il y avait un jeu de quilles et les hommes avaient aligné leurs verres sur une planche placée au-dessus de l’endroit d’où ils faisaient partir la boule.
Entre les poutres entre-croisées, contre du brouillard, celui-ci a baissé la tête comme le taureau qui va donner un coup de corne, et il était noir contre le brouillard.
Pendant que le brouillard venait, il baisse la tête en même temps qu’il avance le genou gauche, pliant la jambe, et en même temps il tend en arrière le bras droit, pendant que les autres se tiennent debout et regardent : alors toute l’artillerie des quilles au bout de la piste a éclaté.
Besson regarde ; il a bu ses trois décis dans un coin à une table, puis il est parti.
Est allé plus loin, a été encore dans deux villages, s’est enfoncé dans le brouillard où il a fondu et n’a plus été, marchant sur des chemins en terre molle au travers des bois où une pomme de pin de temps en temps vous tombe sur la tête et l’écureuil dans le fin bout de l’arbre, tenant le fruit entre ses pattes, en arrache les écailles qui font un bruit de petite pluie.
Et Besson a fait ainsi son métier, là-haut, là derrière, loin de nous, sans plus penser à nous et comme nous ayant oubliés, jusque vers les cinq ou six heures ; – il change alors de direction, faisant demi-tour sur lui-même, de sorte que de nouveau il se trouve tourné de notre côté.
Il fait un pas, il en fait encore un. Il vient de laisser derrière lui une ferme où il est entré, ayant appelé dans le corridor à carreau rouge, appelant : « Hé ! y a-t-il quelqu’un ? » puis il s’est retrouvé dehors. Il fait un pas, il fait un deuxième pas dans le bas de cette dernière pente qu’il remonte et où il n’y a rien qu’une pauvre herbe grise et du brouillard ; mais il chasse le brouillard de lui avec ses bras, et puis c’est plus haut qu’il regarde. Là, des troncs espacés font comme une barrière et on voit le ciel par les trous. Il s’est mis à dire à ce ciel : deviens bleu ; il chasse le brouillard avec ses bras, il le fait aller en arrière. Il a dit au soleil : lève-toi ! Alors la croûte blanche devant lui se défait, elle s’écaille rapidement comme une peinture fatiguée ; par chacune des fissures la lumière est venue dehors, tandis qu’il est encore dans l’ombre ; seulement il monte. Et sa tête, ses épaules, ont été dans le soleil.
Il a fait grandir devant lui le ciel, le tirant à lui de bas en haut. Il monte encore d’un pas ou deux ; il a à présent du soleil jusqu’à la ceinture. Déjà tout le ciel qu’il peut voir est bleu dans l’illumination qui vient et il le tire à lui d’en haut ; alors une montagne est venue, une montagne qui pend après.
Il n’y a rien eu d’abord que cette corne blanche, parce qu’il commence par le haut. Blanche, blanche et bleue, comme toute neuve ; alors Besson a dit : « Bon, ça va ! » Il a fait encore une poussée comme quand l’enfant grimpe à un mur ; il se trouve dans le soleil jusqu’au ventre, tandis que maintenant il y a deux, trois, il y a sept, huit, neuf sommets et dessus de montagnes qui montent comme des ballons, séparés encore, mais bientôt rejoints, et ils ont fait ensemble une chaîne sous la neige.
Il a vu ; il jette un regard à droite et à gauche, il a dit : « Ça y est-il ? » Il a dit ensuite : « Ça y est. »
Il est comme quand on a écrit une belle première ligne de mots sur la page, parce que c’est par en haut qu’on commence à écrire, mais le soleil lui descend jusqu’aux genoux, il a été dans le soleil jusqu’aux chevilles, il y a été tout entier. Il avance dedans en lui faisant faire des remous, en le traînant à l’une et l’autre de ses jambes, comme quand il y a une inondation, comme le mineur dans la mine après qu’il a crevé la poche avec son pic ; – il avance, il sort de la galerie, il va encore un bout à plat.
Et la colonne des paniers s’est éteinte ; il n’éclaire plus, c’est lui qui est éclairé.
La lumière qui est partie d’elle est maintenant partout sauf sur elle ; et lui sous sa hotte, ayant fait, contemple, comme s’il n’avait pas fait.
Car la montagne entière était venue ; il y a eu tout le pays. Il y a eu tout le pays qui est fermé, à cause des montagnes qui l’entourent. Il y a eu une terre particulière et séparée, et c’est une région du monde entre les autres régions du monde : avec une fin à elle, un commencement. Tout est contenu exactement dedans sans qu’aucune chose en déborde. Comme dans une de tes corbeilles, les grandes à lessive, ovales, larges du fond. Le porteur de corbeilles est devant la plus belle, la plus grande, où il a déposé le jour et où il a rangé soigneusement tout ce qui va faire besoin aux hommes, parce qu’ils ont besoin de l’eau pour être au chaud, alors tout le fond est en eau où qu’on regarde. – Lui, a mis la main sous sa barbe. – Il se tient arrêté à l’endroit où tout à coup le terrain casse allant d’un seul mouvement jusqu’au fond du trou ; lui, se tient sur le bord du trou et voit venir après la montagne les eaux, avec leurs bateaux et leurs barques. Il se penche un peu plus en avant ; alors est venu le côté d’ici, alors vous êtes enfin venus, étages, où le bois blanc des échalas neufs scintille dans les jeunes vignes, et les vieux ont une couleur comme celle du rocher. Et son œil à lui, s’abaissant toujours, est allé d’un de ces degrés à un de ces degrés. De haut en bas, et puis de gauche à droite. Et toute la suite qu’il y a là vient à son tour, et chacun des brins dont c’est fait, sur ce côté de la corbeille au beau rebord faisant sa courbe.
Les murs et la suite des murs, avec leurs mailles et leurs nœuds, cet autre ouvrage de vannerie qu’il fait venir encore à lui, puis il le laisse aller, il l’abandonne.
Un homme alors sort à une place qu’on voit, un autre sort un peu plus bas ; sur cette marche, sur cette autre marche. Ils ont paru chacun sur son étage, et le village vient plus loin, comme si on l’avait serré d’abord fortement dans ses mains.
Ils lèvent les bras, ils lèvent le fossoir des deux bras, puis l’abattent, puis ils se baissent.
Et Bovard se baisse.
Bovard plus en avant que les autres et se tenant sur sa pointe de terre au delà de laquelle il n’y a plus rien que le vide, mais il s’est dit : « Allons-y quand même !… » Quelque chose leur a crié : hardi ! à eux tous, comme si une voix qui ne fait point de bruit venait ; alors ils retrouvent leurs forces. Bovard se baisse. Il prend par terre un échalas qu’il met debout contre la souche ; c’est pour l’aider, la souche. Il retourne alors le fossoir les dents en haut et avec le dos du fossoir il tape, et un autre tape. Bovard entend taper autour de lui et partout le bruit vient, comme une réponse à une demande, comme si une conversation commençait ou bien comme quand on chante. D’où Bovard se tient, il ne peut pas voir qui lui répond ; peut-être est-ce le mont lui-même à cause des échos qu’il y a. Est-ce le mont ? ou bien son plus proche voisin, mais ça ne fait rien, puisque ça vient, du moment que ça vient, – parce qu’on est encouragé, on s’encourage les uns les autres, quand ainsi le mont tout entier commence à chanter, de haut en has, d’un bout à l’autre.
Bovard tout à coup s’est dit : « Ça ne fait rien ! » il s’est dit : « Allons-y quand même !… »
Et celui-ci plus loin qui dit de même, et ce troisième, bien qu’ils ne puissent pas se voir les uns les autres, mais ils se parlent les uns aux autres, ils s’appellent les uns les autres, se faisant signe de proche en proche par le son, comme avec les notes d’un chant, comme avec les mots d’une phrase ; – et lui, pendant ce temps, là-haut, qui regarde, et eux font.
C’est comme si on avait sauté en avant d’un bon mois dans la saison.
Cette tombée de soleil sur vous : on saute en avant d’un mois dans l’année.
Il semble qu’on ait tourné le robinet à la sève et il y a tous ces petits boutons qui crèvent, qui étaient gris, qui ont crevé, deviennent roses comme des fleurs, entre les murs.
De haut en bas du mont, entre les murs passés au blanc de chaux, les murs gris et tachés de bleu, tachés de vert, tachés de jaune, sous le ciel vu seulement dans la seconde de ses moitiés, parce qu’il y a la paupière du mont sur l’autre ; et le bourgeon crève, il devient rose, il porte dehors la première feuille comme du miel…
Tandis que là-haut un regarde, et les autres font.
Ils lèvent le fossoir, ils tapent sur les échalas.
Une grande conversation commence, une musique s’est levée entre les murs qui vous cuisent déjà le derrière, à travers le drap du pantalon.
On siffle pour faire tenir tranquille le lézard qui vient de sortir de son trou, traînant derrière lui sa longue queue, à côté d’une touffe de ruines de Jérusalem.
Chapitre 5
Le lendemain matin, quand Besson est sorti, tout sort en même temps que lui.
Voilà que le sonneur le rencontre et la cloche manquait encore, parce que c’était un dimanche matin ; mais le sonneur a vite été dans le clocher où pend la corde qu’il empoigne des deux mains.
Partout, dans le village, ils repoussent les contrevents peints en vert qu’ils tiennent fermés contre la nuit, ils ont fait grincer les espagnolettes ; les fenêtres ont ouvert les yeux sur de la vue ou sur point de vue, mais ça ne fait rien. Quelques-unes c’est sur la plus étroite des ruelles où elles se font vis-à-vis à deux mètres l’une de l’autre ; – et montée de la vie, parce qu’un poète est venu, et il écrit autour de lui son livre ; il fait partir la cloche dans le ciel, il met en mouvement sur la terre les hommes, après qu’il les a posés là et autour d’eux le pays.
Dans la ruelle, c’est Congo qui est en train d’enrouler sa ceinture rouge avec ses mains roses, n’ayant pas pris le temps de s’habiller complètement avant de sortir, et il n’a pas voulu déjeuner, parce qu’il a prétendu que le café n’était pas assez fort :
— Du jus de chapeau !
Le poète est venu ; Congo s’en va le long de la ruelle, ne disant qu’une seule chose et toujours la même, qu’il pousse devant lui en même temps qu’un de ses pieds, puis l’autre pied.
Un poète est venu, on ne l’a pas reconnu et on ne sait pas qui il est.
C’est simplement un homme, un homme parmi les hommes, un homme comme les autres hommes.
On ne sait pas qui il est et on ne l’a pas reconnu, ayant comme nous une blouse, ou une veste de drap noir, avec une chemise empesée et un chapeau et une barbe ; ayant des habits de semaine la semaine et le dimanche des habits de dimanche, ayant un travail comme nous ; – il y en a qui font des paniers, par exemple : alors lui est arrivé avec ses paniers, et on a dit : « C’est le vannier… »
On a vu dans la ruelle Rose Bron, qui a dix-huit ans, mettre la tête à la fenêtre, puis elle a ri tout haut.
— Du jus de chapeau !
Congo s’arrête :
— C’est vrai, ça !
Il regarde vers Rose, il tient ses mains l’une sur l’autre au-dessus de ses pantoufles tournées en dedans :
— Comme je vous dis…
Et elle qui appelle sa sœur :
— Hélène ! Hélène !
Sa sœur qui vient, alors elles ont été les deux à la fenêtre :
— Qu’est-ce qu’il y a, Congo, voyons ?
Elles rient tellement fort qu’Amaudruz qui habite la maison vis-à-vis se montre ; et lui aussi :
— Qu’est-ce qu’il y a, Congo ? salut !…
Et à présent partout le monde sort sur le pas des portes, pendant que Congo ne comprend pas, ou peut-être qu’il est flatté :
— C’est pourtant vrai ! a-t-il repris, hochant la tête.
Et est reparti, pendant qu’on rit de plus en plus fort et qu’on s’appelle, allant en traînant les pieds dans la direction de la place qu’on voit, après un tournant, faire entre les maisons, avec ses maisons à elle, comme des planches de sapin neuf mises debout, parce que c’est son côté d’en haut qu’elle montre, celui qui est tourné au midi, celui qui est en plein soleil.
Besson est assis sous les platanes, comme d’habitude, mais aujourd’hui il ne travaille pas, étant sur son mur les genoux rejoints, le pantalon rendu visible par l’absence du tablier de serge verte, les doigts immobiles, les doigts vides ou qui ne tiennent que la pipe qu’ils vont chercher par moment à la bouche ; – alors c’est un tout petit travail, un travail qui ne compte pas, et il n’y a plus les osiers.
Il n’y a plus les blancs, bien écorcés, ni ceux avec l’écorce qui sont de deux espèces ; il n’y a plus les blancs, ni les jaunes, ni les rouges, ceux qui bougent, ceux qui sont en paquets ; ceux qui se plient et s’entrecroisent faisant des petits mouvements, et ils se baissent, puis se relèvent comme sous le vent, en souvenir du temps où le vent venait sur eux.
Il n’y a plus les osiers, il n’y a que l’homme assis sur le mur, qui cause là en fumant sa pipe, pendant que devant lui on a vu le soleil venir, et les façades se sont éclairées, qui sont étroites, peintes à la chaux, ayant deux, trois étages comme dans les villes, ayant deux et trois et même quatre rangées de fenêtres avec un perron dans le bas et, dans le haut, coupant la ligne de l’avant-toit, sous un autre petit toit à elle, une porte où pend une poulie qui sert à faire monter les sarments.
On tire les rideaux. On tire les grands rideaux, les petits rideaux. Ils tirent les petits rideaux de devant les vitres, lesquelles sont allées en arrière, jetant tout à coup un feu blanc comme si on vous tirait dessus.
Lui, assis sur son mur, et c’est devant lui, en face de lui, sans qu’il bouge, ni fasse rien, que ça se fait, – disant seulement de temps en temps un mot dans sa barbe ou lâchant une bouffée de fumée, qui vient lentement dehors avec son bleu par une quantité de petits trous.
Et Congo qui arrive sur la place s’est frotté les mains l’une contre l’autre, recommençant à dire toujours sa même phrase, mais on ne l’entend plus.
Le bâton a été mis dans la fourmilière. Noverraz crie à sa femme :
— Lance-moi la clef… Émilie, tu entends ? lance-moi la clef !
Il y a, dans le réduit qui est sous le perron, les pots de fleurs qu’on rentre pour l’hiver, et Noverraz voit que le moment est venu.
Il rattrape la clef au vol d’une main : on va mettre de nouveau les deux tonneaux peints en vert où sont les lauriers-roses dans le bas de l’escalier, l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
Puisque tout sort. Et les pots de géranium en terre jaune seront rangés en bordure aux marches de côté de la rampe de fer.
On voit Noverraz qui roule les deux tonneaux sur la tranche, ne pouvant pas les soulever, ensuite il est venu avec les pots qu’il tient devant lui des deux mains.
Puisque tout sort, pendant que Besson cause et Congo, lui, ne dit plus rien, et écoute, se tenant à quelque distance du groupe, et on voit changer la forme de l’ombre sur la place, brusquement, comme si on taillait dedans avec des ciseaux.
Les grosses cheminées carrées dessinent à terre leurs avancements dont l’un se casse au bas d’une façade, étant trop important pour tenir tout entier sur le sol ; une petite fille chante.
Une femme sort un fauteuil.
Elle a été prendre dans le salon un beau fauteuil en velours grenat et à clous de cuivre, qu’elle apporte, le tenant par les deux bras.
On a entendu le bruit d’une canne dans le fond du corridor et ils se sont tus sur la place.
On a entendu la canne, on a entendu :
— Ça va, papa ?… Eh bien, viens toujours…
Et il est né là-bas de l’ombre qui remplit encore le corridor, entre les murs peints en jaune, n’ayant été d’abord qu’une tache pâle par sa figure qu’il lève difficilement à cause du poids qui est sur sa nuque, mais il la lève quand même tant qu’il peut.
Et sa fille :
— Ça va ?
Elle le tient sous un bras ; lui, de l’autre main, tape sur le carreau avec sa canne, cherchant une place où l’appuyer, puis il l’appuie ; alors son corps peu à peu s’est défait de l’obscurité.
Le soleil forme un triangle en arrière de la porte ; là, il s’arrête. Il s’est arrêté au bord du soleil, comme s’il n’osait pas entrer dedans. On voit qu’il a un bonnet en poil de lapin ; ses cheveux sont longs et sont blancs, faisant des mèches qui dépassent.
On a vu aussi très bien sa main tachée de noir trembler sur le corbin de la canne. On voit qu’il est tout enveloppé dans une robe de chambre grise qui traîne, ne laissant sortir que le bout d’une pantoufle à grosse semelle de feutre. Quant à sa figure, on ne l’a plus vue. C’est qu’il tient la tête baissée. Et sa fille attend à côté de lui, sachant qu’il ne faut rien forcer, le soutenant, plus grande que lui, parce qu’il est devenu tout petit : ainsi nos enfants augmentent dans leur taille et, nous, nous diminuons toujours plus.
Mais, tout à coup, c’est comme s’il se remettait à grandir.
Une petite fille chante. On le voit grandir comme on voit, dans le bon soleil, grandir la plante, – sur ce bord de soleil et avant d’y entrer, et comme pour lui faire honneur. Il se redresse ; sa figure se montre de nouveau, elle se montre de plus en plus, avec les yeux qui s’ouvrent, blancs encore ; il fait un pas en avant, encore un, et encore un autre.
Sa fille alors l’a fait asseoir dans le fauteuil.
On vient. Les hommes qui sont sur la place ont tenu à venir lui serrer la main, parce qu’il a nonante-trois ans. Il y a bien six mois qu’on ne l’avait pas vu, en sorte qu’on avait oublié même qu’il existât, et la petite fille chante. Comme ceux qui sont sous la terre, dans l’oubli de dessous la terre où il nous faudra bien entrer une fois, nous aussi, et dans cette poussière d’oubli ; mais voilà que lui en sort, il l’a secouée de lui.
Il se refait, il ressuscite. Il s’est appuyé au dossier du fauteuil, il va en arrière ; il a renversé la tête, il se tient droit, la peau de sa figure se tend, il rajeunit.
Il met les deux mains devant lui, les tenant levées pour les réchauffer, comme à un feu de cheminée ; il a ôté de dessus ses genoux les pans de sa robe de chambre, et le rouge lui monte de là par les tuyaux du dedans jusqu’à ses joues, tandis que ses yeux trouvent une couleur pour vous regarder. Et, tout de suite, il a recommencé à parler, il vous reconnaît, il s’est mis à rire, pendant qu’on le félicite.
Tous les bruits repartent. La petite fille chante toujours ; dans les cuisines, on met la table. Une bande d’enfants courent sur le pavé, les moineaux s’égosillent.
Et puis aussi, alors, le bruit des serrures des caves, car il n’y a pas ici que ce qui est sur la terre, il n’y a pas ici que ce qu’on voit, c’est seulement une moitié de ce qui existe qui se montre, la place fait défaut en largeur, mais non en profondeur ; et ils ont creusé, ayant des maisons qui sont enfoncées dans le sol comme les dents dans la mâchoire, ou comme l’arbre dont la partie apparente n’est rien encore, parce qu’il y a l’autre, il y a la racine, le fondement.
Tout bouge là-haut, et, au-dessus de nos têtes, est une espèce de vie : – seulement, ici, écoutez !
Quand ça recommence là-haut et tout recommence là-haut, les semelles à clous raclent le pavé, on parle, on rit, on appelle, on crie : – seulement laissez-les rire, laissez-les crier, laissez-les parler ; parce que :
— Écoutez ! a dit celui-ci en levant le doigt dans la cave, et puis il pose la main à plat contre un des ovales : « Sentez-vous ? »
Il pose la main contre le mur : « Sentez-vous ? »
Alors cet autre bruit s’élève, que d’abord on n’entendait pas tellement il est sourd, d’en dessous, intérieur, profond ; il a grandi, il a recouvert peu à peu les autres.
Ils auraient beau chanter et crier plus fort encore, là-haut sur la terre ; ils ne comptent plus, ils sont sur la terre et ici on est sous la terre.
Quand le vin rebouge dans les tonneaux, et sous les douves tout repart en même temps que la sève repart, parce que le vin se souvient ; l’enfant n’est pas encore complètement séparé de sa mère.
Ils ont fait grincer les serrures des caves, ils s’appellent les uns les autres, ils se sont invités. Ils s’alignent sous la terre, tout contre les tonneaux eux-mêmes alignés et ne laissant entre eux que juste la place qu’il faut pour ces deux rangées d’hommes se faisant vis-à-vis ; et amitié, fraternité.
Le soleil de là-haut éclaire le dehors : le nôtre nous éclaire en dedans. Celui-là les corps, celui-ci les cœurs.
Ils ont dit à Besson : « Venez. » Besson prend sa place dans une des rangées, pendant que celui qui remplit le verre est à un bout et le verre va, revient, repart, fait le tour. Ils regardent dedans de haut en bas, ou ils regardent au travers contre la flamme de la bougie, et le vin bouge là de nouveau, parce qu’il renaît, lui aussi.
Tout à coup, par la porte ouverte, un homme qui descend a dit :
— Dites donc, il y a Gilliéron qui est tout seul…
— Appelle-le.
L’homme remonte :
— Hé ! Gilliéron.
Il lui semble avoir vu que Gilliéron s’est retourné, quelle heure est-il ? Il ne sait plus très bien, lui non plus, parce qu’on n’a plus besoin du temps, pendant que deux demoiselles passent en robe blanche, et il fait rose.
Gilliéron est seul, et il ne faut pas ; alors :
— Hé !
Gilliéron a fini par se retourner.
— Hé ! Gilliéron, allons, arrive !
Les demoiselles sont passées, on ne sait pas l’heure qu’il est ; Gilliéron s’arrête.
On l’appelle, il se tient arrêté :
— Arrive, parce que ça ne te vaut rien, tu sais…
Il ne bouge toujours pas, l’autre s’est approché de lui, et l’a pris par le bras.
On lui a dit :
— On t’attendait.
Il est venu. On lui donne une place, la meilleure. On l’a mis au milieu de nous, parce qu’il n’y a plus que des amis ici. Tous les hommes sont des amis, c’est ce qu’il n’avait pas compris encore. Il était seul : ça ne lui a pas réussi. « Mais, à présent, tu vas voir ça !… » Étant arrivé le dernier, il a fallu qu’il se rattrape, c’est pourquoi on lui a rempli son verre trois fois de suite et il vide son verre trois fois de suite, pendant que les autres attendent. « Santé !… » « Santé !… »
— Et puis ne pense plus à tout ça, c’est fini, parce qu’on est là.
Étant à présent hors du temps, eux tous ; et Gilliéron boit encore une fois pendant qu’on se tient tourné vers lui.
Hors du temps, parce qu’ils sont ensemble, au-dessus du temps.
Le verre recommençant à circuler est arrivé de nouveau à Besson ; on ne lui avait rien dit, il se contentait d’écouter et de boire quand c’était son tour, il se tenait là bien tranquille ; mais tout à coup, à cette tournée-ci, par un progrès :
— On ne vous connaît pas bien encore… Permettez…
Ils disent des choses qu’ils n’auraient jamais osé, ni su dire, dans l’autre vie (c’est la fausse vie). Rien de ce qui nous importe n’y est dit, rien de ce qui est l’essentiel, rien de ce qui compte, rien de ce qu’on aime ; et il y a partout entre nous les murs du secret non percés de portes, parce qu’on n’ose pas ; – ils ont osé :
— Si on pouvait vous demander…
Besson :
— Vous pouvez.
Ils ont dit :
— D’où venez-vous ?
— D’un peu partout.
Il n’y avait déjà plus de temps, voilà qu’il n’y a plus d’espace :
— D’Amérique ?
— D’Amérique.
Tranquille, tenant son verre qu’il vide à petites gorgées, vous regardant tranquillement ensuite de dessous son front qu’il penche en avant avec son chapeau ; puis sa barbe est allée en arrière et il lève de nouveau son verre.
— Pourquoi pas ?
Parce qu’on lui a dit :
— De la Chine ?
Et on rit, et il rit aussi.
— D’Afrique ?…
On rit, et puis il y a l’Australie, il y a les îles dans la mer ; ils les nomment, elles sont appelées, elles viennent, ils changent sans cesse de lieu, les océans sont traversés.
Ils ont dit :
— Tahiti ?…
Ils ont dit :
— Les Marquises ?… Tu te souviens, Auguste, il y avait ce nom-là dans notre livre de géographie quand on allait ensemble à l’école, et ça nous amusait, parce que c’était un nom de personne.
Besson a dit :
— Les Marquises aussi, si vous voulez…
Il y a eu à ce moment du bruit dans l’escalier ; ils ont vu que c’était Congo :
— Tu tombes bien, justement on parlait de toi… Encore une partie du monde… Vous voyez, Monsieur Besson. Vous la reconnaissez, celle-là…
Ayant alors tiré Congo au milieu d’eux et le tenant tourné face à la bougie ; puis ils lui tapent sur l’épaule :
— Toi, on sait du moins d’où tu viens… Tu viens de loin, tu dois avoir soif.
Remerciements
Le téléchargement de cet épisode et la transcription complète sont disponibles sur www.odiolab.ch/series/entre-ombres-et-lumiere/
Merci à la Bibliothèque Numérique Romande pour la mise à disposition du texte traduit de l’allemand, et à Wikipedia pour la mise à disposition de l’illustration.